UN PROJET DE CESSION NE CONSTITUE
PAS UNE CAUSE OBJECTIVE DE PRÉCARITÉ.
Mots-clés : Convention d’occupation précaire – Bail dérogatoire – Précarité – Cause objective
L’essentiel. Un bail commercial ayant été renouvelé à effet du 1er janvier 2005, un accord est intervenu le 29 juin 2007 entre les parties prévoyant la rupture anticipée du bail à effet du 31 décembre 2007 et autorisant la société locataire à se maintenir dans les lieux à compter du 1er janvier 2008 pour une durée de vingt-trois mois afin de favoriser la cession, par le preneur, de son fonds de commerce ou de son droit au bail ; le 18 octobre 2010, la bailleresse a assigné en expulsion la locataire, qui, demeurée dans les lieux, a sollicité que le bénéfice d'un bail commercial lui soit reconnu.
Pour accueillir les demandes de la société bailleresse, l'arrêt retient que l'accord exclut explicitement les dispositions des articles L. 145 et suivants du code de commerce et que les parties ont entendu limiter à vingt-trois mois l'occupation des locaux par la locataire dans l'attente de la cession de son fonds de commerce ou de son droit au bail, événement incertain et extérieur à la volonté des parties puisqu'impliquant l'intervention d'un tiers se portant acquéreur du fonds ce qui constituait un motif légitime de précarité.
En statuant ainsi, après avoir constaté, d'une part, que le projet de cession portait sur le fonds de commerce de la locataire ou son droit au bail, ce qui excluait l'existence d'une cause objective de précarité de l'occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l'exécution d'un bail commercial et justifiant le recours à une convention d’occupation précaire et, d'autre part, qu'au-delà du terme prévu à la convention qui dérogeait aux dispositions statutaires, la locataire était restée dans les lieux sans que le bailleur n'eût manifesté son opposition, ce dont il résultait qu'il s'était opéré un nouveau bail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L.145-5 du Code de commerce, ensemble l’article 1134 du Code civil.
Cass. 3e civ. 12 décembre 2019, n° 18-23784, Sté Les Arcades c/ Sté NC Invest et Sté Le Criquet, FS-P+B+I (cassation CA Caen, 2ème chambre, 14 juin 2018), M. Chauvin, prés. ; Mme Andrich, rapp. ; M. Stulèse, av. gén. ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret et SCP Marc Lévis, av.
Note par
Jehan-Denis BARBIER
Pour des motifs qui arrangeaient probablement tant la société bailleresse que la société locataire, les parties avaient convenu d’une rupture anticipée du bail commercial, mais la société locataire avait été autorisée à rester dans les lieux vingt-trois mois, pour lui permettre de trouver un éventuel repreneur à qui céder son fonds ou son droit au bail. La société bailleresse était d’ailleurs disposée à établir un nouveau bail à un cessionnaire.
Toutefois, la situation s’éternisa bien au-delà de vingt-trois mois.
Il était apparemment difficile de trouver un repreneur. La société bailleresse assigna en expulsion et la société locataire répondit en demandant que le bénéfice d’un bail commercial lui soit reconnu, puisqu’elle était restée dans les lieux au-delà de la durée du bail dérogatoire.
On sait en effet qu’aux termes de l’article L. 145-5 du Code de commerce si le preneur reste et est laissé en possession à l’expiration d’un bail dérogatoire, il s’opère un nouveau bail qui est un bail commercial soumis au statut[1].
On rappellera d’autre part que, malgré la lettre du texte qui n’autorise la conclusion d’un bail dérogatoire que « lors de l’entrée dans les lieux du preneur », la Cour de cassation a admis qu’un bail dérogatoire puisse faire suite à un bail commercial, dans une affaire similaire à celle présentement commentée. La Cour de cassation a décidé que « l’entrée dans les lieux » vise la prise de possession des locaux en exécution du bail dérogatoire, « peu important que le preneur les ait occupés antérieurement en vertu d’un autre titre depuis expiré »[2], et qu’un bail dérogatoire puisse être conclu, après la résiliation triennale d’un bail commercial, avec le même locataire, pourtant déjà dans les lieux[3].
Cependant, en l’espèce, la Cour d’appel estima que contrat litigieux n’était pas un bail dérogatoire, mais une convention d’occupation précaire, le motif légitime de précarité étant constitué par la nécessité de trouver un tiers qui se porterait acquéreur du fonds de commerce ou droit au bail. Mais elle ne sera pas suivie par la Cour de cassation.
La convention d’occupation précaire est une création prétorienne[4] qui, depuis la loi du 18 juin 2014, est définie à l’article L. 145-5-1 du Code de commerce : « N'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».
Le législateur a entériné la jurisprudence. Une convention d’occupation précaire n’est valable que si elle est justifiée par des « circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».
Pour que la convention soit valable, il faut un motif légitime de précarité indépendant de la seule volonté des parties[5].
En l’espèce, la Cour de cassation considère que le motif retenu par la Cour d’appel ne constituait pas une cause objective de précarité. Un projet de cession portant sur le fonds de commerce de la locataire ou son droit au bail, bien que dépendant de l’intervention d’un tiers (le repreneur éventuel), ne constituerait pas une circonstance particulière indépendante de la seule volonté des parties.
La convention d’occupation doit donc être requalifiée en bail dérogatoire et, comme le locataire est resté dans les lieux au-delà de la durée de vingt-trois mois, il s’est opéré un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux.
[1] Cass. 3e civ., 22 janvier 2003, n°01-16490, Gaz. Pal. Rec. 2003, p. 1781, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ. 5 juin 2013, n° 12-19634, Gaz. Pal. 2 août 2013, p. 25, note C.-E. Brault.
[2] Cass. 3e civ., 2 mars 2017, n°15-28068, Administrer, juin 2017, p. 30, note J.-D. Barbier ; Loyers et copr. 2017, n° 111, note P.-H. Brault.
[3] Cass. 3e civ., 1er février 2018, n° 16-23122, Gaz. Pal., 20 mars 2018, p. 59, note C.-E. Brault.
[4] Voir J.-D. Barbier, « Baux dérogatoires et conventions d’occupation précaire », Administrer, janvier 1997, p. 10 ; Puygauthier, « Les conventions dérogatoires au statut des baux commerciaux en raison de leur durée et de leur précarité », JCP N 1993, I, 283, n° 58 à 94 ; Roy-Loustanau, « La convention d’occupation précaire », D. 1988, chron., p. 216.
[5] Cass. 3e civ. 19 novembre2003, n° 02-15887, Loyers et copr. 2004, n° 30, note P.-H. Brault ; Administrer, février 2004, p. 26, note B. Boccara et D. Lipman-Boccara – Cass. 3e civ. 9 novembre 2004, n° 03-15084, Loyers et copr. 2005, n° 13, note P.-H. Brault ; AJDI 2005, p. 386, note J.-P. Blatter – Cass. 3e civ. 29 avril 2009, n° 08-10506, D. 2009, p. 1357, note Y. Rouquet – Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n° 17-11963, Gaz. Pal., 17 juillet 2018, p. 49, note J.-D. Barbier.
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